Igor LEVIN


Je m'appelle Igor Lévin. Pour mes amis tibétains et chinois, je suis “Léo”.  Au Kirghizstan , où j'ai grandi, on me connaît plutôt sous ce nom.

Ce petit pays occupe un territoire à peu près équivalent à celui du Danemark sans le Groenland. Pour atteindre le port maritime le plus proche, Karatchi, au Pakistan, il faut faire trois mille kilomètres au sud, en passant par le Kashgar chinois et la fameuse grande route Karakorum. Le Tibet est un peu plus proche : après trois jours de voyage en jeep, on est à Ngari, où les ruines de l'ancien royaume Guge avoisinent les villages troglodytes du royaume encore plus ancien de Shanshung, et où le mont sacré Kailash se reflète dans les eaux cristallines du lac sacré Manasarovar. Pour atteindre le rêve de tous les alpinistes du monde, le pic K2, il faut trois jours également. A l’est, le pays jouxte la Chine, au nord il borde le Kazakhstan, à l’ouest l‘Ouzbékistan et le Tadjikistan. La majeure partie du pays est occupée par les montagnes ; les villes sont rares et situées dans des vallées, comme c’est le cas de la capitale Bichkek.

Mon pays a porté des noms différents au fil des siècles. La plupart du temps, il n’y avait aucune structure étatique, même si dès le début du IIIème siècle après J.-C. les turcs nomades qui habitaient ces territoires ont eu une sorte d'Etat primitif paramilitaire. Les historiens nomment cette période « l’Etat des Ousugnes ». Aux VIème et VIIème siècles, ce territoire a été conquis par le puissant khaganat Turq occidental, et Suìyè (Suyab), une grande ville, est devenue sa capitale. Le khagan assurait à la fois la gouvernance de ses sujets et la direction de leur âme : c’était un gouverneur et un chef spirituel, comme le dalaï?lama et le panchen?lama réunis en une seule personne. Le khagan a été le principal allié de la Chine, à l’époque Tang, dans le « pays des démons» : on nommait ainsi toutes les landes situées à l’est de Dunhuang, où se terminait la Grande muraille de Chine.

L’influence chinoise était forte. Il est à noter qu’un grand poète, Li Bai, est né à Suìyè, et ce fait a fourni aux Chinois le prétexte pour prétendre à la ville de Frounzé (aujourd’hui Bichkek) et à une partie de la Kirghizie soviétique, pendant la période de confrontation entre la Chine de Mao et l’URSS, puisque les restes de Suìyè se trouvent à une distance de 60 km de Bichkek. Après l’effondrement des khaganates Turques, la ville de Suìyè est devenue la capitale du khaganate Turghesh (au VIIIème siècle) et de l’Etat des Karlouks (au IXème siècle). Le khaganate de Kirghizie, formé à cette époque, était situé au nord-est du Kirghizstan actuel, et des tribus kirghizes étaient venues du nord, de la vallée du fleuve Ienisseï (la Khakassie de la Russie actuelle). L’autoethnonyme de ce peuple est le terme « kirghiz ». Ce terme provient du mot «extermination », pratiquement identique dans plusieurs langues asiatiques.

La population autochtone a toujours été nomade, ce qui a déterminé les directions de déeloppement de la région, où passaient les principales voies de la Route de la Soie, depuis la Chine jusqu’en Europe, en passant par Istanbul, et depuis la Chine et l'Europe jusqu’en Inde, en passant par Lahor et par le Tibet interdit, avec une escale à Kashgar. Les nomades faisaient paître le bétail qui leur donnait tout : les maisons (des “yourtes”) étaient fabriquées en feutre de laine, les vêtements, en laine et en peaux d’animaux, les ustensiles en cuir, et on se nourrissait de viande et de lait. Le principal problème était les pâturages, et des guerres pour l'expansion territoriale ne cessaient jamais. Les nomades ne s'assujettissaient pas les peuples vaincus : ils les massacraient et partaient peu après. La vie humaine ne valait pas un sou. L'ancienne Route de la Soie était littéralement jonchée d'ossements d’êtres humains et d'animaux, parce que les caravanes étaient constamment soumises à de violentes attaques par les nomades.

La loi, sous la forme du Yassak et Beylik de Genguis Khan, apparaît ici au XIIIème siècle. Les beys assuraient la justice. Les bays contrôlaient l’économie primitive. Le niveau de richesse était déterminé par le nombre de bêtes et la possibilité de se déplacer. Les travaux agricoles étaient considérés comme humiliants ; traditionnellement, c’étaient les femmes et les esclaves qui s'occupaient de tenir le ménage. La liberté était considérée comme la valeur suprême : « Il est si riche qu'il peut se permettre de se déplacer », disait-on jadis.

L'influance de l'islam dans la région a été importante, mais la foi des païens tengristes a pris des formes tout à fait bizarres, au grand regret des chefs religieux musulmans. Une civilisation urbaine basée sur la vie sédentaire a commencé à apparaître dans la vallée du Ferghana (dans le sud du Kirghizstan) au XVème siècle, lorsqu'une partie des Ouzbeks nomades est sortie de d'Ulus Ouzbek, et s'est installée ici, dans la région de l'actuelle ville d'Osh. En fait, les tribus kirghizes ont continué à mener une vie nomade ici jusqu’à la période soviétique (jusqu'en 1922) malgré le fait que le territoire est devenu une partie de l'Empire russe en 1865-1876, sachant qu'en 1825  déjà la forteresse de Kokand Pishpek (Bichkek) avait été fondée par les Kokandais.

Le pouvoir soviétique a tout fait pour internationaliser le territoire. Certains sont arrivés suite à l'appel du Parti communiste, d'autres comme exilés, de force, par la volonté du même Parti. En une décennie, des millions d'immigrants sont arrivés au Kirghizstan : Russes, Ukrainiens, Tatars, Allemands, Juifs, Tchétchènes,  Meskhètes. Les Dounganes et lesOuïghours  vivaient ici depuis des temps immémoriaux, ainsi que les Ouzbeks (au sud du pays). En 1925, la République socialiste soviétique de Kirghizie a obtenu l’autonomie dans le cadre de l'URSS, puis l'indépendance, en 1991, après l'effondrement de l'empire soviétique.
 
Donc, l'indépendance du Kirghizstan est le fruit du hasard, et les kirghiz peuvent très bien l perdre de nouveau. En cinq ans, le pays a vécu deux révolutions : le même groupement n’arrive toujours pas à partager le pouvoir dans ce pays pauvre, arriéré et dépendant. La corruption, typique pour la société orientale organisée en clans, ronge les institutions gouvernementales.

Les Allemands et les Juifs ont presque tous quitté le pays, les Russes qui restaient partent aujourd'hui. L'économie est dans un état de paralysie. Le pays est embrasé par une flambée de haine, d'agressivité et de nationalisme, ce qui a entraîné l'été dernier les émeutes sanglantes des ouzbeks, au sud du pays. La première loi que le nouveau Parlement s'apprête à adopter est la « Loi de la nation principale ». « Nous autres » (Kirghiz) sommes les patrons, « vous autres » (tous le autres) êtes locataires. Maintenant le pays est tendu, craignant des massacres et une révolution de plus, si les élus populaires ne réussissent pas à négocier auprès du FMI et de la Communauté européenne le milliard de dollars promis. Ici, on n'a pas encore appris à produire ou à gagner quelque chose par ses propres moyens.

Il se trouve que pendant plusieurs années j’ai eu la chance de pouvoir éviter d’avoir des relations personnelles avec des fonctionnaires prétentieux et corrompus, des flics mercenaires, des journalistes vénaux et des nationalistes fanatiques. Je ne dépendais ni du pouvoir ni de n’importe qui d'autre dans ce pays. J’ai eu le privilège de travailler et de vivre dans d'autres pays, de découvrir le monde sans me limiter aux problèmes locaux, aux intrigues et aux intérêts des petites chapelles. Après tout, « la trace d'un sabot de vache ne peut pas contenir le Océan ».
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Ses oeuvres

1 oeuvre
  • #Elégie - Igor LEVIN

    Publié le 02/08/2016

    La pièce est volontairement moderne, claire pour chacun, mais elle est riche en non-dit. Le personnage principal manifeste l'image ambiguë de la Russie moderne, se rappelant la grandeur culturelle avec la bouteille dans la main. Les héros communiquent à l'aide d'une messagerie à la mode Viper. L'écran symbolise la vie quotidienne, le personnage principal la fuit constamment auprès du piano. Il ne peut pas trouver le bon ton dans les relations avec les femmes et leur répond par les passages énergiques ou fort mélancoliques. En dehors de la musique il n'existe même pas... Nous devons rendre le mélodrame sur sa place authentique, en effet, grec "melos" = musique + "drama" = action théâtrale. Que peut mieux que la musique géniale influencer les sentiments du spectateur?
 
 
 
 
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